Grand raid des Pyrénées, 2ème partie

Publié le 6 Septembre 2012

Je connais cette mélodie. C'est celle qui habituellement me réveille pour aller au boulot. Ça fait déjà 30 minutes que j'ai les yeux ouverts, que je me retiens de sauter dans mon super calebute de course, et foncer vers la ligne de départ. Je coupe les sonneries et me lève en douceur.

Je suis excité comme une puce sur un trampoline. Dans 2 heures, je prends le départ, tralala-lalère. Je vais en baver, c'est sûr, mais je vais aussi me prendre un méga-panard sur une montagne inconnue. Je descends déjeuner et retrouve Clare qui me montre les mets à ma disposition. Alors que je me restaure, un gars, à fort accent anglais, pointe son nez et me souhaite une bonne course. Le pauvre a dû abandonner sur pépin physique. Je le regarde monter les escaliers, traînant les pieds, tête basse. Des heures et des heures d’entraînement, pour un grand moment de solitude, ce n'est pas facile à accepter. Me voilà averti. L'abandon sera en permanence présent dans un coin de mon esprit, et me servira de régulateur. Je vais devoir me hâter lentement et garder au maximum toute ma lucidité, museler le chien fou que je peux devenir dans un moment d'euphorie et anticiper les difficultés à venir. Je me repasse en boucle mon plan de course pour qu'il devienne réflexe :

- Rester tranquille jusqu'à Artigues sans flâner outre mesure.

- A Artigues, la course commence. Objectif N°1 - Pic du Midi. Quasi 1 700 m D+. Il faut serrer les dents et tenir.

- Descente sur Tournaboup. 10 km. La règle des 4 R : Relâchement, Récupération, restauration, Rapidité (le quatrième est optionnel). A Tournaboup, si je ne suis pas en forme ou blessé, c'est ici que le choix d'abandonner se posera. Phil et Robert seront là pour me récupérer.

- La montée au col de Barèges, dernière grosse difficulté. Méthode Artigues.

- Col de Barèges – cabane de Merlans. Descente maitrisée jusqu'au lac de l'Oule puis montée régulière à la cabane de Merlans pour le dernier ravito-pointage.

- Courte montée au col de Portet et enfin se laisser glisser vers la ligne d'arrivée en fond de vallée. 12 bornes mais plus aucune difficulté, si ce n'est l'obscurité. 

                  Le jeune homme que nous devons descendre à Vielle-Aure me rejoint à table. Désolé mon gars, tu te reconnaîtras peut être dans le texte. J'ai complètement mangé ton prénom avec ma tartine et pas moyen de me le remémorer. Mais je n'ai pas oublié la douce mélodie matinale de ta voix, bien agréable à écouter dans le silence du grand chalet endormi. Nous ne papotons pas trop, les minutes passent vite. Je monte récupérer mon sac et réveiller mes équipiers. Ils sont déjà debout. Parfait.

Soyan-2012-357.jpg            Vielle-Aure, 4h30. Pétard, ça brasse un maximum. Les bars sont ouverts. La serveuse a une tête de déterrée et cependant fait l'effort de nous sourire en prenant notre commande de café, et essaie de ne pas se rendormir en traversant la rue. Sa journée va être longue et sûrement plus bruyante que la mienne. Je réalise à cet instant ma chance d'être là, en pleine forme, avec mes 2 potes.

GRP_25082012-013.JPG             L'animateur nous invite, via une sono qui doit réveiller tout le canton, à nous placer sous l'arche de départ. Dawa Sherpa, toujours fidèle à lui-même, sourire aux lèvres, prends la pose photo avec toute personne qui lui demande. Hé les loulous, hurle-je intérieurement, vous ne pouvez pas lui fiche un peu la paix.  Les photos c'était hier aprème ou demain, en attendant lâchez-lui la grappe et laissez-le gagner la course tranquille. C'est bon de libérer sa petite colère quotidienne, j'aime bien. Ça m'a déstressé. J'me sens d'attaque pour un massage de ripatons sauce caillasse pyrénéenne.

            Bla-bla-bla, derniers conseils, musique de Coldplay, Phil et Robert me serre chaleureusement la main. Pas évident de laisser ses copains sur la ligne de départ. Sergio, t'es où ? Nous étions 4 à Crest, 4 mousquetaires, 4 Dalton. C'est quand qu'on s'en refait une ensemble ? Si je suis là, c'est grâce à vous, ainsi qu'à toutes les copines et copains du JCP. Merci à Vous. Je vais essayer d'être digne de vos encouragements.

            5, 4, 3, 2, 1... C'est parti !

Un dernier salut en arrière et je me branche en mode Trail longue distance. Le mot ultra ne me convient pas. Alors le 160 c'est un « super-ultra » et le Tor des géants, 330 km... qui a dit une folie ? Ça double dans tous les sens. On se croirait au départ d'un cross de village. Je sais, j’exagère, ça va quand même moins vite. M'enfin quand même, comme dirait Gaston Lagaffe, y z'espèrent quoi, arriver avant d'être partis ? C'est pas gagné, les p’tits loups ! Je rencontre vite des tas de gens sympas, partis pour faire un beau voyage. Ça trottine en papotant. Je me fais expliquer les difficultés par des anciens qui ont plusieurs GRP à leur actif. J'aime ce milieu, où la majorité est partageuse, généreuse, aimable. Cela redonne espoir en l'avenir à « l'écolo-gauchiste » que je suis. J'entends le Fredo qui rigole... Premières pentes, programmation mode marche rapide. Je m'essaie à la technique Irène. Ça va bien, mais j'ai encore du boulot pour tenir sa cadence et de toute façon avé mes jambes de Razmoket, je ne ferai pas de miracle.

            Nous traversons Soulan. J'interpelle Phil et Robert qui attendent au bord de la route. Serrage de paluche. Ça fait du bien. Le premier obstacle sérieux approche d'après les anciens. Un bouchon se forme à la sortie des bois, dans la traversée des « fougères ». Je dois avoir de la chance car exception faite de qq très courts arrêts, ce passage est rapidement avalé. Dire qu'on m'avait parlé de quasi 15 minutes de bouchon en moyenne chaque année. Le temps de tenter une photo du serpent lumineux sous mes pieds, ça redémarre déjà. La fin de nuit se déroulera tranquillement. Sous le Serre de Courteilles, je fais la connaissance d'un jeune très sympa. Nous avançons à la même cadence. De fil en aiguille, il me parle de son objectif. Il envisage de faire la boucle en 16 heures. D'après son tableau de marche, nous sommes sur une base de 17 heures. Houlala ! C'est trop vite pour moi. Je lui annonce que je vais freiner à la descente du col de Portet.

GRP_25082012-015.JPG            Nous sortons de la mer de nuage. Le soleil nous éblouit. Magnifique ! Clic-clac ! C'est dans la boite ! Je vois les magnifiques coupe-vents du JCP m'attendant au col. Je dis à Phil et Robert que tout se passe bien, que cela me paraît plus facile que prévu. Serrage de pogne, on ne change pas les habitudes quand elles sont bonnes. La cabane de Merlans n'est pas loin en dessous.

            1er contrôle de passage et ravito. Je croise Vincent Delebarre qui se fade sa dernière côte. Encouragements et remerciements mutuels. 148 bornes et 10 000 m D+ dans ses pattes et un beau rythme de montée, ça m'inspire admiration et Respect (avec une majuscule comme dans... Respect) ! Mon équipier de la nuit a filé et je n'ai pas songé à le suivre. Nous ne jouons pas dans la même cour. Sois humble mon Guy, si tu ne veux pas exploser en vol. Il m'a bien confirmé d'en garder sous le pied jusqu'à Artigues. C'est donc ce que je vais faire. Tranquille Mimile, comme dirait mon paternel. A la cabane de Merlans, je ne m'attarde pas. Je mange qq bricoles et boit trois verres et file. Trop de monde, trop de bruit. Je ferai une grosse pause à Artigues.

            Une montée brève mais directe sous le téléski nous permet de retrouver le GR10 que nous suivrons jusqu'à la prochaine étape. Le temps est très incertain. Une trouée soudaine nous offre une vue provisoire sur le Néouvielle. Splendide ! Finalement ce temps couvert aura de l’intérêt. Pas de canicule comme la veille avec son cortège de déshydratés à la dérive. Tous ces paysages nouveaux attirent le regard et obligent à ralentir si l'on ne veut pas se gaufrer. Je reviendrai pour randonner, flâner, mais aujourd'hui je devrai me contenter d'images fugitives. Je franchis une croupe herbeuse et je me prends la première d'un festival de claques visuelles.

2afe73m.jpgPhoto empruntée sur le site : http://capausud.wifeo.com/le-lac-de-loule.php

Je n'ai pas la lumière de cette photo, mais alors le bleu de l'eau me fascine. J'ai l'impression de ne jamais avoir vu un bleu aussi beau, aussi prenant. Je vais déambuler  ainsi qq temps au bord d'étendues translucides se transformant parfois en pierres précieuses posées sur un lit de verdure. Je suis un gosse devant un sapin de Noël, le frère d'Alice dans le pays des merveilles. Tous ces bonshommes qui s'agitent seraient-ils des  lapins pressés, une montre gousset à la main ? Peut être. Lacs de Bastan, lacs de Bastanet, lac de la Hourquette avec son cortège de laquets, lac de Campana, lac de Greziolles avec sa laquette sont autant de beaux souvenirs engrangés.

Voir les lacs Pyrénéens (merci à J-P Mégias).

grp 2012 017Photo issu du blog montagne passion (merci à lui)

Et dites-vous bien que, pour un lac de vu, c'est deux, voire trois de manqués. Malheureusement, la première douleur me rappelle la réalité de la course. Y avait longtemps que mes genoux ne m'avaient pas agacé. Je suis encore à 5 km d'Artigues. Je mets les freins, augmente la pression sur les bâtons pour soulager mes articulations. Je rejoins le fond de vallée à vitesse réduite, non sans m'être arrêté pour admirer la superbe cascade du Garet.

GRP_25082012-021.JPG                  Artigues, beaucoup de monde, d'encouragements. J'esquisse qq merci, trop préoccupé par mon « bobo ». Je n'ai fait que 29 km. Si la douleur augmente, je ne pourrai pas terminer. Je ne dois pas y penser. Manger, boire et appeler les Zouzous doivent être mes seules préoccupations. Phil m'annonce qu'ils ont attaqué l'ascension du pic du Midi. Il me donne RDV entre le sommet et le col de Sencours. Il remontera avec moi. Ah Phil, je sais qu'intérieurement tu piaffes d'envie de lâcher les chevaux. Mais pour l'instant, tu dois écouter les médecins pour pouvoir retrouver la joie de cavaler cheveux au vent (c'est une image) à travers collines et montagnes. Patience !

courses-3211.JPG              J'ai beaucoup de mal à digérer le solide. Je fais le plein d'eau et de coca, grignote du salé, des fruits par obligation et fuit le sucré. Et comme dirait mon ami Robert, me voilà reparti pour une séquence ascension et digestion.

            « Pic du Midi, me voici !

- Bouffon ! me répond-on du fond du vallon.

- Je ne dirai pas que c'est juste, mais je ne dirai pas non plus que c'est complètement faux »

(Cette dernière tirade ne vous rappelle pas qq'un dans un film de Bertrand Tavernier? Je vous laisse réfléchir)

                  En redémarrant, je repense au jeune coureur  qui m'a accompagné jusqu'au col de Portet. Il m'a dit de prendre garde en arrivant à la cascade d'Arizes. Un casse-pattes de première bourre qu'il faut aborder avec respect. Merci pour le conseil, mon gars ! J'admire la chute d'eau tout en observant mes prédécesseurs ahaner dans la pente. Une voix intérieure, ressemblant à Mado la niçoise me met en garde :

« Malheur ! C'est qu'ils vont tout me l'esquicher, me l'escagasser, ce pauvre pitchoune... A ce rythme, y sera tellement sec que j'en voudrai même pas comme raisin de Corinthe dans ma salade. »

            T'inquiètes pas Mado, ça va le faire. Je viens me caler derrière un petit groupe, rentre la tête dans les épaules et me prépare à souffrir. C'est raide mais moins long que redouté. Le groupe explose. Certains étaient en surrégime. Je double dès que possible et part en chasse d'un autre paquet de traileurs. A propos de chasse, une nuée d'oiseaux tournoient dans le vallon d'Arizes. Une méga tripotée de vautours cherchent une charogne à se mettre sous les becs, à moins que ce ne soit un coureur en perdition. Toujours aussi beaux ces planeurs parfaits. Il y en a de magnifiques par chez nous. Courrez les voir, vous ne le regretterez pas et ça vous fera un bon entraînement montagne.

             Le temps passe agréablement. C'est pentu mais raisonnablement. Passé la cabane de Pène Blanque, je m'engage dans un nouveau vallon qui me mène au pied du col de Sencours. La lassitude commence à se faire sentir. Je passe en mode débranché jusqu'au col. Contrôle de passage, grignoti, coca, eau. Je ne traîne pas. Je dois monter au Pic et ensuite récupérer dans la descente sur Tournaboup. Ça commence par une piste assez facile mais longue, longue. Je fais la connaissance d'une bande de joyeux drilles qui se baladent depuis 2 jours dans le seul but d'encourager les coureurs. Parmi eux, Jean Michel me tient compagnie un bon moment jusqu'à ce que je vois le Phil. Hé ho !  Je te présente Jean Michel, joyeux accompagnateur de traileur en goguette. Salutations générales. Phil repart avec moi. Il me nourrit de compliments, d'encouragements. Il m'a observé et il me connaît. Il sait que je suis dans le dur, que je souffre. Ses mots me font du bien. Je croise Robert qui descend du Pic. Serrage de louches franc et sincère. Il me gratifie de chaleureux encouragements et reprend sa descente. Il s'occupe d'amener la voiture à Tournaboup pendant que Phil m'accompagnera.

courses-3207.JPG              La montée reprend, 500 m de D+ du col au Pic. J'ai l'impression de ne plus avancer, j'ai mal aux cuisses. Les coupoles de l'observatoire n'ont jamais été aussi près. J'entends enfin le « Tu y es ! ».

              Derrière la bosse, je vois la passerelle. Les bénévoles m'accueillent toujours aussi gentiment. Je me déchausse. Mes chaussettes sont pleines de sable. C'est maintenant que je vais savoir si le traitement préventif a été efficace. Fait pas chaud là-haut et on ne voit rien. Je voulais faire coucou à qq'un mais ça n'est pas possible. Déception.

                      Je serre les lacets. 10 bornes de descente nous attendent avec une pause miam au col de Sencours. Très vite la douleur aux genoux se réveille. Je ralentis et décide de me faire strapper au col. La belle blonde qui m'a agréablement traîné dans le vallon d'Arizes me double et me sème irrésistiblement. Ciao Bella ! Tu vas trop vite pour moi.

                     L'infirmière au col,  me dit que pour mon problème, cela ne sert à rien. Massage au gel anti-inflammatoire. Casse-croûte bien arrosé. Nous nous engageons sur une piste très roulante. Tout va bien. Nous la quittons assez vite pour une belle mono-sente qui se termine droit dans une piste de ski. Allo, maman bobo ! Les pentes raides, c'est fini pour aujourd'hui. Je lève le pied. Nous retrouvons une belle piste. La douleur s'estompe. Je lâche les freins pour les 3 km qui nous séparent de Tournaboup...

Rédigé par phil

Publié dans #Course à pied

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